Comment est né Cigéo ?

Trois options étudiées

Si le stockage de surface est adapté à la grande majorité des déchets radioactifs (ceux de très faible activité ou de faible activité à vie courte), il est apparu nécessaire de réfléchir à une solution de gestion pour les déchets radioactifs les plus dangereux et à vie longue. En 1991, le Parlement adopte une loi pour fixer le cadre des recherches sur la gestion des déchets radioactifs, en y associant des obligations de transparence et de démocratie : la loi Bataille. Cette dernière lance trois axes de recherche :

La séparation/transmutation

Étudiée par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), la séparation / transmutation consiste à transformer des radionucléides dont la durée de vie est longue ou très longue en éléments non radioactifs ou à vie très courte. Les résultats de 15 années de recherche montrent que seuls certains radionucléides pourraient être ainsi transformés et que la mise en œuvre, à l’échelle d’un tel procédé ne supprime pas le besoin d’un stockage géologique profond. En effet, la séparation / transmutation ne serait pas applicable pour des déchets déjà produits et déjà conditionnés dans leur matrice de verre. A ce jour, cette option n’a pas été retenue comme solution de référence, même si les recherches se poursuivent.

Marcoule installation de recherche Atalante du CEA
A Marcoule, le CEA étudie la technique de transmutation © S.Le Couster/CEA

L’entreposage de longue durée

Les recherches ont démontré qu’il n’existe aucun élément technique rédhibitoire à la construction d’installations d’entreposage, en surface ou en subsurface, conçues dès le départ pour des durées longues (de l’ordre du siècle). Néanmoins cette solution nécessite des critères de conception présentant une robustesse particulière aux aléas externes, techniques ou sociétaux. Par ailleurs, la surveillance et le contrôle de telles installations devraient être maintenus pendant toute la durée de leur vie pour garantir la reprise des colis. L’entreposage de longue durée nécessite la reprise des déchets à l’horizon du siècle (donc bien en deçà de la durée de vie des déchets) et fait reposer la charge de leur gestion sur les générations à venir. L’ASN indiquait ainsi, dans un avis de février 2006, que « le stockage en formation géologique profonde est une solution de gestion définitive qui apparaît incontournable ».

Le stockage géologique profond

La loi de 2006 a décidé de retenir le stockage géologique profond comme solution de référence pour gérer les déchets radioactifs les plus dangereux sur le très long terme.
La loi du 25 juillet 2016 est venue préciser les caractéristiques du stockage géologique profond en vue d’améliorer sa résilience et sa gouvernance. Elle impose ainsi à l’Andra de concevoir un stockage dont la durée de réversibilité ne peut être inférieure à cent ans. 
Par ailleurs, la loi prévoit que l’autorisation de mise en service qui sera donnée par l’ASN sera limitée initialement à la seule phase industrielle pilote. L’autorisation de mise en service complète ne pourra ainsi être délivrée qu’après une nouvelle loi. Il n’y a donc pas de possibilité d’autorisation de l’ensemble du projet sans accord du Parlement.

Interview : Quelles alternatives au stockage géologique ?

3 questions à François Besnus, directeur de l’environnement au sein du pôle Santé et Environnement de l’IRSN.

François Besnus
© IRSN

Pourquoi le stockage profond s’est-il imposé comme la meilleure solution pour les déchets de haute et moyenne activité à vie longue ?

La recherche de l’isolement et du confinement en profondeur dans des roches stables et imperméables de déchets représentant un risque très élevé est la solution qui apparait techniquement la plus robuste. Elle est étudiée depuis les années 60 et nulle part dans le monde n’a émergé d’alternative crédible. Plus de trente années de recherche sur le stockage profond dans l’argile nous donnent des éléments tangibles pour apprécier la faisabilité d’un confinement sur une période de l’ordre de 100 000 ans. Évidemment, la démonstration de sûreté d’une telle opération est longue et complexe, et les craintes existent. C’est pourquoi la notion de réversibilité du stockage est importante : il faut ménager une possibilité de reprise des déchets pendant au moins cent ans afin de consolider les démonstrations tout en faisant un pas majeur pour mettre en œuvre, sans retard indu, la solution actuellement jugée la plus sûre. 

Pour quelles raisons les solutions d’entreposage de longue durée et de transmutation n’ont-elles pas été retenues ?

Ni l’entreposage de longue durée ni la transmutation ne constituent des alternatives au stockage géologique en termes de gestion de risque. L’entreposage est un pari sur l’avenir qui semble impossible à tenir : qui peut garantir que des installations seront surveillées et régulièrement reconstruites à une échelle de cent mille ans ? 
Quant à la transmutation, si l’idée est séduisante, elle se heurte au fait qu’elle n’apparaît applicable que pour les noyaux lourds et pas les produits de fission. En outre cette technique ne fait que raccourcir la durée de vie de certains radioéléments : la question du stockage d’un déchet ultime demeure. Les solutions de transmutation nécessitent également de développer un nouveau parc de réacteurs et de nouveaux combustibles… Non seulement cette solution ne présente pas de gain de sûreté probant pour le stockage, mais elle crée de nouveaux risques.

Pourquoi n’est-il pas possible d’incinérer les déchets radioactifs ?

L’incinération est une pratique courante pour les déchets nucléaires organiques de faible et moyenne activité à vie courte. Pour certains déchets à durée de vie longue, notamment les bitumes, cette solution est envisagée. Le traitement des gaz doit néanmoins être très performant avec un niveau de filtration très élevé, et les volumes à traiter sont importants. C’est techniquement réalisable mais industriellement difficile à mettre en œuvre. Le CEA effectue néanmoins une étude de faisabilité pour cette incinération des bitumes, qui pourrait permettre de rendre ces déchets inertes et résoudre les questions qui se posent sur la sûreté de leur stockage en cas d‘incendie. Le dernier avis de l’IRSN concernant le stockage dans Cigéo de déchets bituminés demandait en tout état de cause qu’à défaut de recourir à cette solution, les concepts de stockage soient modifiés pour s’adapter aux risques générés par de tels colis. 

Le choix de Cigéo

A partir de 1994, l’Andra étudie le stockage géologique des déchets nucléaires sur plusieurs sites français : dans un massif granitique de la Vienne et dans des couches argileuses, dans le Gard, la Meuse et la Haute-Marne. En raison d’une géologie propice, dès 2000, un laboratoire souterrain de recherche voit le jour dans la commune de Bure (Meuse), pour étudier la faisabilité du projet. Implanté à 490 mètres de profondeur, il est constitué d’un réseau de plus de 1 600 mètres de galeries. L’Andra y étudie notamment les propriétés de la couche géologique argileuse présente sur cette zone. Cette roche, épaisse de 145 mètres, est stable depuis plus d’une centaine de millions d’années et permet le confinement de la radioactivité à très long terme.

Travaux dans une galerie du laboratoire souterrain de recherche de l’Andra
Galerie du laboratoire souterrain © Noak/Le bar Floréal/Médiathèque IRSN

En 2006, l’ASN puis un groupe international d’experts, confirment les résultats des recherches de l’Andra et la faisabilité d’un stockage profond autour du site de Bure, en Meuse / Haute-Marne. L’Agence poursuit ses recherches et le projet entre en phase industrielle à compter de 2011. En 2016, l’Andra remet à l’ASN le dossier d’options de sûreté de Cigéo sur lequel l’ASN a rendu un avis globalement positif en janvier 2018.

Trois débats publics

Un premier débat public est organisé en 2005 réunissant plus de 3 000 participants. Cette concertation fait émerger deux options : l’entreposage longue durée et le stockage géologique. Suite à ce débat et à sur avis de l’ASN, cette deuxième solution est retenue par les parlementaires le 28 juin 2006. Ils votent également le maintien des recherches sur les techniques alternatives (transmutation et entreposage) et exigent que le stockage soit réversible pendant une durée de 100 ans.

Conformément à la loi de 2006, un nouveau débat public sur Cigéo, portant sur les modalités d’implantations et sur certains éléments techniques (descenderie vs puits, transports des colis, etc.), est organisé en 2013 à la demande de l’Andra, ce débat se déroule dans un climat tendu.

L’ANDRA intègre une phase industrielle pilotage en amont de l’exploitation ainsi que d’autres demandes formulées par les parties-prenante. De plus, plusieurs actions de concertation, tant au niveau local que national, sont lancées par l’Andra à la suite de ce débat public pour faciliter l’implantation locale du projet et associer les riverains et acteurs du territoire à la dynamique globale.

Suite à la saisine du ministère de la Transition écologique et solidaire, la Commission nationale du débat public (CNDP) confirme la tenue d’un débat public fin 2018 dans le cadre de la révision du Plan National de Gestion des Matières et des Déchets Radioactifs (PNGMDR) dont le projet Cigéo n’est qu’un des éléments.

Interview : le stockage profond étudié au laboratoire de Bure

Trois questions à Frédéric Plas, directeur de la Recherche & Développement à l’Andra.

Frédéric Plas
© Andra

Pourquoi l'Andra a-t-elle choisi le site de Bure pour implanter son laboratoire souterrain et quel en était l’objectif ?

Le site de Meuse / Haute-Marne, qui était candidat à l’accueil du Laboratoire, a été retenu en raison de la qualité de sa géologie. En effet, sur une zone d’environ 250 km2, le site est exempt de failles, la couche sélectionnée, à 500 mètres de profondeur, est une couche sédimentaire argileuse qui s’est déposée il y a environ 160 millions d’années. Elle est stable depuis plus d’une centaine de millions d’années et, sur la zone de 250 km2, elle est homogène et a une épaisseur importante (plus de 120 m). Enfin, et surtout, elle a une très faible perméabilité et possède de fortes capacités de rétention chimique des éléments. Ce sont des propriétés essentielles pour piéger la très grande majorité des radioéléments. 

Sur quoi portent les expérimentations qui y sont menées ?

Au début, les études avaient pour objet de connaître la roche et son comportement (perméabilité, capacité de rétention des radioéléments, endommagement mécanique au creusement, comportement suite à un échauffement…) et tout ce qui fonde sa capacité à garantir la sûreté à long terme. Puis nous sommes progressivement passé à des études sur les composants du stockage (interaction des matériaux entre eux, essais de creusement / soutènement, etc.). Aujourd’hui, nous menons des études de plus en plus intégrées ; nous réalisons et étudions des composants entiers aux mêmes dimensions que celles prévues dans Cigéo. Nous avons par exemple construit et instrumenté une alvéole haute activité en grandeur réelle.

En quoi les résultats des recherches menées dans le laboratoire permettent-elles de conforter le choix du stockage profond comme solution de référence pour les déchets nucléaires à vie longue ?

Elles nous ont tout d’abord permis de démontrer la faisabilité de principe du stockage, en montrant les propriétés de base favorables de la roche pour accueillir un stockage, et que ces propriétés favorables étaient préservées face aux sollicitations du stockage (le creusement, l’échauffement…). Dans un second temps, le Laboratoire nous a permis d’accompagner la conception progressive du stockage, de tester des techniques ou d’observer des phénomènes qui se produiraient dans le stockage sur la durée et à grandeur réelle.

 

Ce qui se fait ailleurs

Laboratoire souterrain d’Aspo, en Suède
Laboratoire souterrain d’Aspo, en Suède © Noak/Le bar Floréal/Médiathèque IRSN

Aujourd’hui, le stockage en couche géologique profond est considéré, à l’international, comme la solution la plus sûre pour assurer la gestion définitive des déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) et de haute activité (HA) par tous les pays produisant de l’énergie électronucléaire. Plusieurs d’entre eux disposent d’installations de recherche similaires au laboratoire souterrain de l’Andra à Bure.
La Suède, la Finlande, la Corée ou la Chine pilotent des programmes de recherche sur le stockage profond au sein de roches granitiques. Le Japon, la Suisse ou la Belgique étudient les formations argileuses. La France est aujourd’hui, avec la Suède et la Finlande, l’un des pays les plus avancés sur ce sujet. 
Pour l’heure, il n’existe pas d’installation de stockage géologique profond de déchets HA et MA–VL en exploitation. Une demande d’autorisation est en cours d’instruction en Suède pour une mise en service prévue à l’horizon 2020 / 2025. En Finlande, l’autorisation de création de l’installation a été accordée par le Gouvernement en 2015 et sa construction a été engagée 2016.